Textes et lois
Abolition de l'esclavage
Décret d'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, 27 avril 1848
Ministère de la Marine et des Colonies - Direction des Colonies
République Française
Liberté - Égalité - Fraternité
Au nom du Peuple Français
Le Gouvernement provisoire,
Considérant que l'esclavage est un attentat contre la dignité humaine ;
Qu'en détruisant le libre arbitre de l'homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir ; Qu'il est une violation flagrante du dogme républicain : « Liberté - Égalité – Fraternité » ;
Considérant que si des mesures effectives ne suivaient pas de très près la proclamation déjà faite du principe de l'abolition, il en pourrait résulter dans les colonies les plus déplorables désordres ;
Décrète :
Article Ier
L'esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d'elles. À partir de la promulgation du présent décret dans les colonies, tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres, seront interdits.
Article 2
Le système d'engagement à temps établi au Sénégal est supprimé.
Article 3
Les gouverneurs ou Commissaires généraux de la République sont chargés d'appliquer l'ensemble des mesures propres à assurer la liberté à la Martinique, à la Guadeloupe et dépendances, à l'île de La Réunion, à la Guyane, au Sénégal et autres établissements français de la côte occidentale d'Afrique, à l'île Mayotte et Dépendances et en Algérie.
Article 4
Sont amnistiés les anciens esclaves condamnés à des peines afflictives ou correctionnelles pour des faits qui, imputés à des hommes libres, n'auraient point entraîné ce châtiment. Sont rappelés les individus déportés par mesure administrative.
Article 5
L'Assemblée Nationale règlera la quotité de l'indemnité qui devra être accordée aux colons.
Article 6
Les colonies purifiées de la servitude et les possessions de l'Inde seront représentées à l'Assemblée Nationale.
Article 7
Le principe « que le sol de la France affranchit l'esclave qui le touche » est appliqué aux colonies et possessions de la République.
Article 8
À l'avenir, même en pays étranger, il est interdit à tout français de posséder, d'acheter ou de vendre des esclaves, et de participer, soit directement, soit indirectement, à tout trafic ou exploitation de ce genre. Toute infraction à ces dispositions entraînerait la perte de la qualité de citoyen français. Néanmoins, les Français qui se trouveront atteints par ces prohibitions, au moment de la promulgation du présent décret, auront un délai de trois ans pour s'y conformer. Ceux qui deviendront possesseurs d'esclaves en pays étranger, par héritage, don ou mariage, devront, sous la même peine, les affranchir ou les aliéner dans le même délai à partir du jour où leur possession aura commencé.
Article 9
Le Ministre de la Marine et des Colonies et le Ministre de la Guerre sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret.
Fait à Paris, en conseil de gouvernement, le 27 avril I848.
Signé:
Les membres du Gouvernement provisoire :
- A. MARRAST,
- MARIE.
Le Secrétaire général du Gouvernement provisoire : PAGNERRE
Le code noir
Le code noir est un édit juridiques,raciste et esclavagiste préparé par Colbert et terminé par son fils, le marquis de Seignelay. Cet ordonnance est promulguée en mars 1685 par Luis XIV. Ont contre-signé ce texte : le marquis de Seignelay et Michel Letellier, marquis de Louvois.
Article 1er
Voulons que l'édit du feu Roi de Glorieuse Mémoire, notre très honoré seigneur et père, du 23 avril 1685, soit exécuté dans nos îles; ce faisant, enjoignons à tous nos officiers de chasser de nos dites îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d'en sortir dans trois mois à compter du jour de la publication des présentes, à peine de confiscation de corps et de biens.
Article 2
Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achètent des nègres nouvellement arrivés d'en avertir dans huitaine au plus tard les gouverneur et intendant des dites îles, à peine d'amende arbitraire, lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire et baptiser dans le temps convenable.
Article 3
Interdisons tout exercice public d'autre religion que la religion catholique, apostolique et romaine. Voulons que les contrevenants soient punis comme rebelles et désobéissants à nos commandements. Défendons toutes assemblées pour cet effet, lesquelles nous déclarons conventicules, illicites et séditieuses, sujettes à la même peine qui aura lieu même contre les maîtres qui lui permettront et souffriront à l'égard de leurs esclaves.
Article 4
Ne seront préposés aucun commandeur à la direction des nègres, qui ne fassent profession de la religion catholique, apostolique et romaine, à peine de confiscation desdits nègres contre les maîtres qui les auront préposés et de punition arbitraire contre les commandeurs qui auront accepté ladite direction.
Article 5
Défendons à nos sujets de la religion protestante d'apporter aucun trouble ni empêchement à nos autres sujets, même à leurs esclaves, dans le libre exercice de la religion catholique, apostolique et romaine, à peine de punition exemplaire.
Article 6
Enjoignons à tous nos sujets, de quelque qualité et condition qu'ils soient, d'observer les jours de dimanches et de fêtes, qui sont gardés par nos sujets de la religion catholique, apostolique et romaine. Leur défendons de travailler ni de faire travailler leurs esclaves auxdits jours depuis l'heure de minuit jusqu'à l'autre minuit à la culture de la terre, à la manufacture des sucres et à tous autres ouvrages, à peine d'amende et de punition arbitraire contre les maîtres et confiscation tant des sucres que des esclaves qui seront surpris par nos officiers dans le travail.
Article 7
Leur défendons pareillement de tenir le marché des nègres et de toute autre marchandise auxdits jours, sur pareille peine de confiscation des marchandises qui se trouveront alors au marché et d'amende arbitraire contre les marchands.
Article 8
Déclarons nos sujets qui ne sont pas de la religion catholique, apostolique et romaine incapables de contracter à l'avenir aucun mariage valable, déclarons bâtards les enfants qui naîtront de telles conjonctions, que nous voulons être tenues et réputées, tenons et réputons pour vrais concubinages.
Article 9
Les hommes libres qui auront eu un ou plusieurs enfants de leur concubinage avec des esclaves, ensemble les maîtres qui les auront soufferts, seront chacun condamnés en une amende de 2000 livres de sucre et s'ils sont les maîtres de l'esclave de laquelle ils auront eu lesdits enfants, voulons, outre l'amende, qu'ils soient privés de l'esclave et des enfants et qu'elle et eux soient adjugés à l'hôpital, sans jamais pouvoir être affranchis. N'entendons toutefois le présent article avoir lieu lorsque l'homme libre qui n'était point marié à une autre personne durant son concubinage avec son esclave, épousera dans les formes observées par l'Église ladite esclave, qui sera affranchie par ce moyen et les enfants rendus libres et légitimes.
Article 10
Les solennités prescrites par l'ordonnance de Blois et par la Déclaration de 1639 pour les mariages seront observées tant à l'égard des personnes libres que des esclaves, sans néanmoins que le consentement du père et de la mère de l'esclave y soit nécessaire, mais celui du maître seulement.
Article 11
Défendons très expressément aux curés de procéder aux mariages des esclaves, s'ils ne font apparoir du consentement de leurs maîtres. Défendons aussi aux maîtres d'user d'aucunes contraintes sur leurs esclaves pour les marier contre leur gré.
Article 12
Les enfants qui naîtront des mariages entre esclaves seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves et non à ceux de leurs maris, si le mari et la femme ont des maîtres différents.
Article 13
Voulons que, si le mari esclave a épousé une femme libre, les enfants, tant mâles que filles, suivent la condition de leur mère et soient libres comme elle, nonobstant la servitude de leur père, et que, si le père est libre et la mère esclave, les enfants soient esclaves pareillement.
Article 14
Les maîtres seront tenus de faire enterrer en terre sainte, dans les cimetières destinés à cet effet, leurs esclaves baptisés. Et, à l'égard de ceux qui mourront sans avoir reçu le baptême, ils seront enterrés la nuit dans quelque champ voisin du lieu où ils seront décédés.
Article 15
Défendons aux esclaves de porter aucune arme offensive ni de gros bâtons, à peine de fouet et de confiscation des armes au profit de celui qui les en trouvera saisis, à l'exception seulement de ceux qui sont envoyés à la chasse par leurs maîtres et qui seront porteurs de leurs billets ou marques connus.
Article 16
Défendons pareillement aux esclaves appartenant à différents maîtres de s'attrouper le jour ou la nuit sous prétexte de noces ou autrement, soit chez l'un de leurs maîtres ou ailleurs, et encore moins dans les grands chemins ou lieux écartés, à peine de punition corporelle qui ne pourra être moindre que du fouet et de la fleur de lys; et, en cas de fréquentes récidives et autres circonstances aggravantes, pourront être punis de mort, ce que nous laissons à l'arbitrage des juges. Enjoignons à tous nos sujets de courir sus aux contrevenants, et de les arrêter et de les conduire en prison, bien qu'ils ne soient officiers et qu'il n'y ait contre eux encore aucun décret.
Article 17
Les maîtres qui seront convaincus d'avoir permis ou toléré telles assemblées composées d'autres esclaves que de ceux qui leur appartiennent seront condamnés en leurs propres et privés noms de réparer tout le dommage qui aura été fait à leurs voisins à l'occasion desdites assemblées et en 10 écus d'amende pour la première fois et au double en cas de récidive.
Article 18
Défendons aux esclaves de vendre des cannes de sucre pour quelque cause et occasion que ce soit, même avec la permission de leurs maîtres, à peine du fouet contre les esclaves, de 10 livres tournois contre le maître qui l'aura permis et de pareille amende contre l'acheteur.
Article 19
Leur défendons aussi d'exposer en vente au marché ni de porter dans des maisons particulières pour vendre aucune sorte de denrées, même des fruits, légumes, bois à brûler, herbes pour la nourriture des bestiaux et leurs manufactures, sans permission expresse de leurs maîtres par un billet ou par des marques connues; à peine de revendication des choses ainsi vendues, sans restitution de prix, pour les maîtres et de 6 livres tournois d'amende à leur profit contre les acheteurs.
Article 20
Voulons à cet effet que deux personnes soient préposées par nos officiers dans chaque marché pour examiner les denrées et marchandises qui y seront apportées par les esclaves, ensemble les billets et marques de leurs maîtres dont ils seront porteurs.
Article 21
Permettons à tous nos sujets habitants des îles de se saisir de toutes les choses dont ils trouveront les esclaves chargés, lorsqu'ils n'auront point de billets de leurs maîtres, ni de marques connues, pour être rendues incessamment à leurs maîtres, si leur habitation est voisine du lieu où leurs esclaves auront été surpris en délit: sinon elles seront incessamment envoyées à l'hôpital pour y être en dépôt jusqu'à ce que les maîtres en aient été avertis.
Article 22
Seront tenus les maîtres de faire fournir chaque semaine, à leurs esclaves âgés de dix ans et au-dessus, pour leur nourriture, deux pots et demi, mesure de Paris, de farine de manioc (Le pot ou quade (cade) : 2 pintes, soit 1,861 litre), ou trois cassaves pesant chacune 2 livres et demie au moins, ou choses équivalentes, avec 2 livres de boeuf salé, ou 3 livres de poisson, ou autres choses à proportion: et aux enfants, depuis qu'ils sont sevrés jusqu'à l'âge de dix ans, la moitié des vivres ci-dessus.
Article 23
Leur défendons de donner aux esclaves de l'eau-de-vie de canne ou guildive, pour tenir lieu de subsistance mentionnée en l'article précédent.
Article 24
Leur défendons pareillement de se décharger de la nourriture et subsistance de leurs esclaves en leur permettant de travailler certain jour de la semaine pour leur compte particulier.
Article 25
Seront tenus les maîtres de fournir à chaque esclave, par an, deux habits de toile ou quatre aunes (L'aune de France, ou de Paris, contient trois pieds sept pouces) de toile, au gré des maîtres.
Article 26
Les esclaves qui ne seront point nourris, vêtus et entretenus par leurs maîtres, selon que nous l'avons ordonné par ces présentes, pourront en donner avis à notre procureur général et mettre leurs mémoires entre ses mains, sur lesquels et même d'office, si les avis viennent d'ailleurs, les maîtres seront poursuivis à sa requête et sans frais; ce que nous voulons être observé pour les crimes et traitements barbares et inhumains des maîtres envers leurs esclaves.
Article 27
Les esclaves infirmes par vieillesse, maladie ou autrement, soit que la maladie soit incurable ou non, seront nourris et entretenus par leurs maîtres, et, en cas qu'ils eussent abandonnés, lesdits esclaves seront adjugés à l'hôpital, auquel les maîtres seront condamnés de payer 6 sous par jour, pour la nourriture et l'entretien de chaque esclave.
Article 28
Déclarons les esclaves ne pouvoir rien avoir qui ne soit à leurs maîtres; et tout ce qui leur vient par industrie, ou par la libéralité d'autres personnes, ou autrement, à quelque titre que ce soit, être acquis en pleine propriété à leurs maîtres, sans que les enfants des esclaves, leurs pères et mères, leurs parents et tous autres y puissent rien prétendre par successions, dispositions entre vifs ou à cause de mort; lesquelles dispositions nous déclarons nulles, ensemble toutes les promesses et obligations qu'ils auraient faites, comme étant faites par gens incapables de disposer et contracter de leur chef.
Article 29
Voulons néanmoins que les maîtres soient tenus de ce que leurs esclaves auront fait par leur commandement, ensemble de ce qu'ils auront géré et négocié dans les boutiques, et pour l'espèce particulière de commerce à laquelle leurs maîtres les auront préposés, et au cas que leurs maîtres ne leur aient donné aucun ordre et ne les aient point préposés, ils seront tenus seulement jusqu'à concurrence de ce qui aura tourné à leur profit, et, si rien n'a tourné au profit des maîtres, le pécule desdits esclaves que les maîtres leur auront permis d'avoir en sera tenu, après que les maîtres en auront déduit par préférence ce qui pourra leur être dû; sinon que le pécule consistât en tout ou partie en marchandises, dont les esclaves auraient permission de faire trafic à part, sur lesquelles leurs maîtres viendront seulement par contribution au sol la livre avec les autres créanciers.
Article 30
Ne pourront (les esclaves) être pourvus d'office ni de commission ayant quelque fonction publique, ni être constitués agents par autres que leurs maîtres pour gérer et administrer aucun négoce, ni être arbitres, experts ou témoins, tant en matière civile que criminelle: et en cas qu'ils soient ouïs en témoignage, leur déposition ne servira que de mémoire pour aider les juges à s'éclairer d'ailleurs, sans qu'on en puisse tirer aucune présomption, ni conjoncture, ni adminicule de preuve.
Article 31
Ne pourront aussi les esclaves être parties ni être (sic) en jugement en matière civile, tant en demandant qu'en défendant, ni être parties civiles en matière criminelle, sauf à leurs maîtres d'agir et défendre en matière civile et de poursuivre en matière criminelle la réparation des outrages et excès qui auront été contre leurs esclaves.
Article 32
Pourront (les esclaves) être poursuivis criminellement, sans qu'il soit besoin de rendre leurs maîtres partie, (sinon) en cas de complicité: et seront les esclaves accusés, jugés en première instance par les juges ordinaires et par appel au Conseil souverain, sur la même instruction et avec les mêmes formalités que les personnes libres.
Article 33
L'esclave qui aura frappé son maître, sa maîtresse ou le mari de sa maîtresse, ou leurs enfants avec contusion ou effusion de sang, ou au visage, sera puni de mort.
Article 34
Et quant aux excès et voies de fait qui seront commis par les esclaves contre les personnes libres, voulons qu'ils soient sévèrement punis, même de mort, s'il y échet.
Article 35
Les vols qualifiés, même ceux de chevaux, cavales, mulets, boeufs ou vaches, qui auront été faits par les esclaves ou par les affranchis, seront punis de peines afflictives, même de mort, si le cas le requiert.
Article 36
Les vols de moutons, chèvres, cochons, volailles, canne à sucre, pois, mil, manioc ou autres légumes, faits par les esclaves, seront punis selon la qualité du vol, par les juges qui pourront, s'il y échet, les condamner d'être battus de verges par l'exécuteur de la haute justice et marqués d'une fleur de lys.
Article 37
Seront tenus les maîtres, en cas de vol ou d'autre dommage causé par leurs esclaves, outre la peine corporelle des esclaves, de réparer le tort en leur nom, s'ils n'aiment mieux abandonner l'esclave à celui auquel le tort a été fait; ce qu'ils seront tenus d'opter dans trois jours, à compter de celui de la condamnation, autrement ils en seront déchus.
Article 38
L'esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l'aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d'une fleur de lys sur une épaule; s'il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d'une fleur de lys sur l'autre épaule; et, la troisième fois, il sera puni de mort.
Article 39
Les affranchis qui auront donné retraite dans leurs maisons aux esclaves fugitifs, seront condamnés par corps envers les maîtres en l'amende de 300 livres de sucre par chacun jour de rétention, et les autres personnes libres qui leur auront donné pareille retraite, en 10 livres tournois d'amende par chacun jour de rétention.
Article 40
L'esclave sera puni de mort sur la dénonciation de son maître non complice du crime dont il aura été condamné sera estimé avant l'exécution par deux des principaux habitants de l'île, qui seront nommés d'office par le juge, et le prix de l'estimation en sera payé au maître; et, pour à quoi satisfaire, il sera imposé par l'intendant sur chaque tête de nègre payant droits la somme portée par l'estimation, laquelle sera régalée sur chacun desdits nègres et levée par le fermier du domaine royal pour éviter à frais.
Article 41
Défendons aux juges, à nos procureurs et aux greffiers de prendre aucune taxe dans les procès criminels contre les esclaves, à peine de concussion.
Article 42
Pourront seulement les maîtres, lorsqu'ils croiront que leurs esclaves l'auront mérité les faire enchaîner et les faire battre de verges ou cordes. Leur défendons de leur donner la torture, ni de leur faire aucune mutilation de membres, à peine de confiscation des esclaves et d'être procédé contre les maîtres extraordinairement.
Article 43
Enjoignons à nos officiers de poursuivre criminellement les maîtres ou les commandeurs qui auront tué un esclave étant sous leur puissance ou sous leur direction et de punir le meurtre selon l'atrocité des circonstances; et, en cas qu'il y ait lieu à l'absolution, permettons à nos officiers de renvoyer tant les maîtres que les commandeurs absous, sans qu'ils aient besoin d'obtenir de nous Lettres de grâce.
Article 44
Déclarons les esclaves être meubles et comme tels entrer dans la communauté, n'avoir point de suite par hypothèque, se partager également entre les cohéritiers, sans préciput et droit d'aînesse, n'être sujets au douaire coutumier, au retrait féodal et lignager, aux droits féodaux et seigneuriaux, aux formalités des décrets, ni au retranchement des quatre quints, en cas de disposition à cause de mort et testamentaire.
Article 45
N'entendons toutefois priver nos sujets de la faculté de les stipuler propres à leurs personnes et aux leurs de leur côté et ligne, ainsi qu'il se pratique pour les sommes de deniers et autres choses mobilières.
Article 46
Seront dans les saisies des esclaves observées les formes prescrites par nos ordonnances et les coutumes pour les saisies des choses mobilières. Voulons que les deniers en provenant soient distribués par ordre de saisies; ou, en cas de déconfiture, au sol la livre, après que les dettes privilégiées auront été payées et généralement que la condition des esclaves soit réglée en toutes affaires comme celle des autres choses mobilières, aux exceptions suivantes.
Article 47
Ne pourront être saisis et vendus séparément le mari, la femme et leurs enfants impubères, s'ils sont tous sous la puissance d'un même maître; déclarons nulles les saisies et ventes séparées qui en seront faites; ce que nous voulons avoir lieu dans les aliénations volontaires, sous peine, contre ceux qui feront les aliénations, d'être privés de celui ou de ceux qu'ils auront gardés, qui seront adjugés aux acquéreurs, sans qu'ils soient tenus de faire aucun supplément de prix.
Article 48
Ne pourront aussi les esclaves travaillant actuellement dans les sucreries, indigoteries et habitations, âgés de quatorze ans et au-dessus jusqu'à soixante ans, être saisis pour dettes, sinon pour ce qui sera dû du prix de leur achat, ou que la sucrerie, indigoterie, habitation, dans laquelle ils travaillent soit saisie réellement; défendons, à peine de nullité, de procéder par saisie réelle et adjudication par décret sur les sucreries, indigoteries et habitations, sans y comprendre les nègres de l'âge susdit y travaillant actuellement.
Article 49
Le fermier judiciaire des sucreries, indigoteries, ou habitations saisies réellement conjointement avec les esclaves, sera tenu de payer le prix entier de son bail, sans qu'il puisse compter parmi les fruits qu'il perçoit les enfants qui seront nés des esclaves pendant son bail.
Article 50
Voulons, nonobstant toutes conventions contraires, que nous déclarons nulles, que lesdits enfants appartiennent à la partie saisie, si les créanciers sont satisfaits d'ailleurs, ou à l'adjudicataire, s'il intervient un décret; et, à cet effet, il sera fait mention dans la dernière affiche, avant l'interposition du décret, desdits enfants nés esclaves depuis la saisie réelle. Il sera fait mention, dans la même affiche, des esclaves décédés depuis la saisie réelle dans laquelle ils étaient compris.
Article 51
Voulons, pour éviter aux frais et aux longueurs des procédures, que la distribution du prix entier de l'adjudication conjointe des fonds et des esclaves, et de ce qui proviendra du prix des baux judiciaires, soit faite entre les créanciers selon l'ordre de leurs privilèges et hypothèques, sans distinguer ce qui est pour le prix des fonds d'avec ce qui est pour le prix des esclaves.
Article 52
Et néanmoins les droits féodaux et seigneuriaux ne seront payés qu'à proportion du prix des fonds.
Article 53
Ne seront reçus les lignagers et seigneurs féodaux à retirer les fonds décrétés, s'ils ne retirent les esclaves vendus conjointement avec fonds ni l'adjudicataire à retenir les esclaves sans les fonds.
Article 54
Enjoignons aux gardiens nobles et bourgeois usufruitiers, amodiateurs et autres jouissants des fonds auxquels sont attachés des esclaves qui y travaillent, de gouverner lesdits esclaves comme bons pères de famille, sans qu'ils soient tenus, après leur administration finie, de rendre le prix de ceux qui seront décédés ou diminués par maladie, vieillesse ou autrement, sans leur faute, et sans qu'ils puissent aussi retenir comme fruits à leur profit les enfants nés desdits esclaves durant leur administration, lesquels nous voulons être conservés et rendus à ceux qui en sont maîtres et les propriétaires.
Article 55
Les maîtres âgés de vingt ans pourront affranchir leurs esclaves par tous actes vifs ou à cause de mort, sans qu'ils soient tenus de rendre raison de l'affranchissement, ni qu'ils aient besoin d'avis de parents, encore qu'ils soient mineurs de vingt-cinq ans.
Article 56
Les esclaves qui auront été fait légataires universels par leurs maîtres ou nommés exécuteurs de leurs testaments ou tuteurs de leurs enfants, seront tenus et réputés, les tenons et réputons pour affranchis.
Article 57
Déclarons leurs affranchissements faits dans nos îles, leur tenir lieu de naissance dans nos dites îles et les esclaves affranchis n'avoir besoin de nos lettres de naturalité pour jouir des avantages de nos sujets naturels de notre royauté, terres et pays de notre obéissance, encore qu'ils soient nés dans les pays étrangers.
Article 58
Commandons aux affranchis de porter un respect singulier à leurs anciens maîtres, à leurs veuves et à leurs enfants, en sorte que l'injure qu'ils leur auront faite soit punie plus grièvement que si elle était faite à une autre personne: les déclarons toutefois francs et quittes envers eux de toutes autres charges, services et droits utiles que leurs anciens maîtres voudraient prétendre tant sur leurs personnes que sur leurs biens et successions en qualité de patrons.
Article 59
Octroyons aux affranchis les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres; voulons que le mérite d'une liberté acquise produise en eux, tant pour leurs personnes que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle cause à nos autres sujets.
Article 60
Déclarons les confiscations et les amendes qui n'ont point de destination particulière, par ces présentes nous appartenir, pour être payées à ceux qui sont préposés à la recette de nos droits et de nos revenus; voulons néanmoins que distraction soit faite du tiers desdites confiscations et amendes au profit de l'hôpital établi dans l'île où elles auront été adjugées.
Proclamation de Delgrès
Proclamation de Louis Delgrès le 10 mai 1802
À l’univers entier
Le dernier cri de l’innocence et du désespoir.
C’est dans les plus beaux jours d’un siècle à jamais célèbre par le triomphe des lumières et de la philosophie qu’une classe d’infortunés qu’on veut anéantir se voit obligée de lever la voix vers la postérité, pour lui faire connaître lorsqu’elle aura disparu, son innocence et ses malheurs.
Victime de quelques individus altérés de sang, qui ont osé tromper le gouvernement français, une foule de citoyens, toujours fidèles à la patrie, se voit enveloppée dans une proscription méditée par l’auteur de tous ses maux. Le général Richepance, dont nous ne savons pas l’étendue des pouvoirs, puisqu’il ne s’annonce que comme général d’armée, ne nous a encore fait connaître son arrivée que par une proclamation dont les expressions sont si bien mesurées, que, lors même qu’il promet protection, il pourrait nous donner la mort, sans s’écarter des termes dont il se sert. À ce style, nous avons reconnu l’influence du contre-amiral Lacrosse, qui nous a juré une haine éternelle... Oui, nous aimons à croire que le général Richepance, lui aussi, a été trompé par cet homme perfide, qui sait employer également les poignards et la calomnie.
Quels sont les coups d’autorité dont on nous menace ? Veut-on diriger contre nous les baïonnettes de ces braves militaires, dont nous aimions à calculer le moment de l’arrivée, et qui naguère ne les dirigeaient que contre les ennemis de la République ? Ah ! Plutôt, si nous en croyons les coups d’autorité déjà frappés au Port-de-la -Liberté, le système d’une mort lente dans les cachots continue à être suivi. Eh bien ! Nous choisissons de mourir plus promptement.
Osons le dire, les maximes de la tyrannie les plus atroces sont surpassées aujourd’hui. Nos anciens tyrans permettaient à un maître d’affranchir son esclave, et tout nous annonce que, dans le siècle de la philosophie, il existe des hommes malheureusement trop puissants par leur éloignement de l’autorité dont ils émanent, qui ne veulent voir d’hommes noirs ou tirant leur origine de cette couleur, que dans les fers de l’esclavage.
Et vous, Premier consul de la république, vous guerrier philosophe de qui nous attendions la justice qui nous était due, pourquoi faut -il que nous ayons à déplorer notre éloignement du foyer d’où partent les conceptions sublimes que vous nous avez si souvent fait admirer ! Ah ! sans doute un jour vous connaîtrez notre innocence, mais il ne sera plus temps et des pervers auront déjà profité des calomnies qu’ils ont prodiguées contre nous pour consommer notre ruine.
Citoyens de la Guadeloupe, vous dont la différence de l’épiderme est un titre suffisant pour ne point craindre les vengeances dont on nous menace, - à moins qu’on veuille vous faire le crime de n’avoir pas dirigé vos armes contre nous, - vous avez entendu les motifs qui ont excité notre indignation. La résistance à l’oppression est un droit naturel. La divinité même ne peut être offensée que nous défendions notre cause ; elle est celle de la justice et de l’humanité : nous ne la souillerons pas par l’ombre même du crime. Oui, nous sommes résolus à nous tenir sur une juste défensive ; mais nous ne deviendrons jamais les agresseurs. Pour vous, restez dans vos foyers ; ne craignez rien de notre part. Nous vous jurons solennellement de respecter vos femmes, vos enfants, vos propriétés, et d’employer tous nos moyens à les faire respecter par tous. Et toi, postérité ! accorde une larme à nos malheurs et nous mourrons satisfaits.
Le Commandement de la Basse-Terre Louis DELGRÈS
Discours de Gaston Monnerville
(Discours de Gaston Monnerville prononcé à la Sorbonne, le 27 avril 1948, pour la Commémoration du Centenaire de l'abolition de l'esclavage)
Il y a cent ans ! Pour un homme de ma race, comment prononcer ces mots sans une intense émotion.
Dans l'esprit de la plupart des Français, ce n'est qu'une de ces nombreuses dates qui jalonnent l'Histoire de notre Pays et qui rappellent le souvenir d'une Révolution. Courte période sans doute, et combien méconnue ! Mais, à la vérité, l'une des plus pleines de l'Histoire de la République.
Chaque fois que dans ce pays de France, pays de mesure, de transition, les circonstances ne furent pas à l'unisson des idée le cours de la vie fut interrompu par une de ces explosions qui surprennent ceux-là seuls qui n'ont pas voulu ouvrir les yeux à la réalité. L'explosion de 1848 secoua le monde entier.
Jamais, à aucun moment de son Histoire, la France n'assista à pareille profusion d'idées. Jamais, la France n'avait attiré à ce point l'attention des peuples. Février. Avec le peuple de France, l'humanité espère. Quelques mois passent, et voici que ce peuple, déçu de voir que l'ordre auquel il a cru et qu'il a voulu établir ne se réalisait pas, tourne le dos à ses conquêtes.
Immense échec, a-t-on pu dire. Mais est-il exact de prétendre que l'Histoire de l'humanité comporte de réels échecs ? Est-il exact d'affirmer qu'une Révolution, manifestation de l'âme d'un peuple a échoué ?
A cette question, une réponse nette : historiquement, socialement rien n'est indifférent et rien n'échoue. Si 1848 n'a pas, aux yeux des Français, l'auréole de la Grande Révolution, c'est que, rapide comme l'éclair, elle n'a vraiment impressionné que ceux dont le regard restait tourné vers le point de départ. L'étranger contemplait la France; il fut ébloui. La France, et c'est hélas dans sa nature, rabaissa cet élan à des proportions qu'elle n'aurait pas voulu lui voir dépasser; et ce n'est que par l'écho qu'elle en eût, venant de l'extérieur, qu'elle put, mais trop tard, mesurer combien de beauté se trouvait en puissance dans ces 180 jours de 1848.
Des réalisations admirables de la Seconde République, il est resté peu de choses à la vérité, et c'est pourquoi l'on peut, légèrement, parler d'échec. Mais deux conquêtes essentielles demeurent : le suffrage universel, si imparfait qu'il ait été; et l'abolition de l'esclavage. Des deux, la conquête définitive, jamais remise en question, fut bien l'abolition de l'esclavage.
L'esclavage des Noirs ! Messieurs SENGHOR et CESAIRE vous ont rappelé ce qu'a été cette plaie qui souillait l'humanité. Je n'en reprendrai pas le tableau. Cette institution jadis sacro-sainte était dans les moeurs coloniales et le Roi de France lui-même se livrait au commerce du "bois d'ébène".
Mais la sensibilité et l'instinct du peuple de France lui étaient contraires. Le peuple de France est hostile à toute négation de la liberté; et si le mérite des philosophes et des orateurs fut de diffuser par l'écrit ou la parole l'idée de l'émancipation, on peut dire qu'elle préexistait dans la sensibilité populaire. Ayant conquis la liberté par sa volonté et son propre sursaut, la masse française devait inévitablement vouloir l'étendre à tous les autres peuples asservis.
Et tel a bien été le déroulement des faits : chaque fois que le peuple français a eu la possibilité de faire entendre sa voix, il a imposé l'abolition de l'esclavage. En 1794 déjà ! Février 1794 ! Ardente époque qu'il convient de rappeler. Genèse de l'acte historique que nous célébrons ce soir.
Certes, au cours du XVIIIème siècle, les philosophes et les hommes sensibles s'étaient souvent apitoyés sur le sort des Noirs. Mais tous, dans leurs pages les plus mordantes, dans leurs tirades les plus enflammées, tous, Montesquieu, l'Abbé Raynal, les Encyclopédistes, s'étaient bornés à des voeux platoniques et remettaient à une date incertaine et en tout cas fort éloignée, l'émancipation des esclaves.
Ces sentiments étaient encore ceux de Condorcet, de Brissot, de l'Abbé Grégoire luimême, lorsque, en 1748, ils fondèrent la "Société des Amis des Noirs", et se résolurent à entrer en lutte au péril de leur vie, contre les tout-puissants armateurs négriers et les propriétaires d'esclaves.
Le destin de la race des esclaves devait se jouer à Saint-Domingue, dans l'été de 1793, lorsque le Commissaire civil Santhonax et le Général de Laveaux, fidèles à la République, armèrent les esclaves pour défendre l'Ile contre les aristocrates anti-républicains. La proclamation de liberté générale émancipant des centaines de milliers d'esclaves se répercuta aux quatre coins de l'Ile. Mais Paris, seul, pouvait ratifier la décision prise.
Et c'est l'inoubliable séance du 16 Pluviôse An II, au cours de laquelle, après avoir entendu les trois députés élus, venus de St Domingue, un blanc Dufay, un mulâtre Lilles, un noir Lars, dit Belley, la Convention Nationale proclama solennellement, dans l'enthousiasme fraternel d'un peuple délirant la première abolition de l'esclavage.
Pour certains contemporains, cet acte apparut, selon l'expression de l'Abbé Grégoire, comme l'éruption d'un volcan. Les flammes jaillies de ce cratère ont illuminé le monde et leur lueur ne devait jamais s'éteindre.
Février 1848, on est comme une nouvelle éruption. Sans doute fut-elle préparée par cette lente gestation qui précède toujours les ébranlements définitifs. Depuis 1794, la pression des événements et des hommes avait imposé aux régimes successifs des adoucissements en faveur des esclaves ; mais avec une lenteur qui témoigne de la résistance inhérente à l'ancienneté des institutions. Le malheureux peuple d'esclaves, tout comme le peuple misérable des travailleurs métropolitains de l'époque, ne pouvait accepter de trouver "dans les qualifications changeantes d'une infortune qui ne changeait pas "des raisons suffisantes d'espérance.
Cependant, l'évolution était en marche, irrésistiblement. Des hommes qui ont lutté pour la hâter, on vous a tout dit. Mais pour nous, fils d'Outre-Mer, un nom brillera toujours d'une exceptionnelle clarté: celui de Victor SCHOELCHER. Le 4 Mars 1848, au cours d'une conversation pathétique, il convainc Arago de la nécessité de signer le décret désormais fameux qui proclame "Nulle terre française ne peut plus porter d'esclaves".
Chargé spécialement des mesures d'application du principe ainsi courageusement proclamé, il préside la Commission spéciale a qui en a été confiée l'application. Et, en deux mois, le 2 Mai exactement, toutes les questions soulevées par l'émancipation sont étudiées et réglées.
Oeuvre admirable que ces décrets du 27 avril, tous placés au niveau des plus hauts principes républicains. Chacun de ces décrets est précédé d'un exposé des motifs, d'une élévation et d'une noblesse qui émeuvent. Chacun d'eux rappelle l'une des plus précieuses conquêtes spirituelles ou morales de l'humanité.
Mais l'esprit qui présida aux travaux de la Commission de l'abolition de l'esclavage ressort mieux encore du rapport qu'au nom de cette Commission Victor SCHOELCHER présenta au Gouvernement.
"La Commission, y est-il dit, n'avait point à discuter le principe de l'affranchissement général; il est intimement lié au principe même de la République : il se pose, il ne discute plus aujourd'hui... "La Commission n'avait pas davantage à débattre les conditions de l'émancipation. La République ne pouvait accepter aucune sorte de transaction avec cet impérieux devoir; elle mentirait à sa devise, si elle souffrait que l'esclavage souille plus longtemps un seul point du territoire où flotte son drapeau".
Et portant ses vues encore plus loin et plus haut, SHOELCHER écrit ces lignes prophétiques, qui devraient toujours inspirer tous ceux qui élaborent des lois pour l'OutreMer : "L'affermissement et le développement de la France d'Outre-Mer par le travail vraiment libre, telle a été, après le décret de l'abolition, la pensée dominante de la Commission". Et il conclut par cette proclamation qui atteint au plus haut sommet de la solidarité humaine :
"La République n'entend plus faire de distinction dans la famille humaine.Elle ne croit pas qu'il suffise, pour se glorifier d'être un peuple libre, de passer sous silence toute une classe d'hommes tenue hors du droit commun de l'humanité.
Elle a pris au sérieux son principe; elle répare envers ces malheureux le crime qui les enleva jadis à leurs parents, à leur pays natal, en leur donnant pour patrie la France, et pour héritage tous les droits du citoyen français. Par là, elle témoigne assez hautement qu'elle n'exclut personne de son éternelle devise: « Liberté - Egalité - Fraternité ».
Telle est l'oeuvre.
Lorsqu'on suit les efforts de celui qui l'a réalisée, on ne sait ce qu'il convient d'admirer le plus; la ténacité de l'homme ou la grandeur de l'oeuvre. Le témoignage d'un de ses contemporains les plus illustre nous en donne une idée exacte.
Lamartine, qu'il avait conquis à l'idée de l'émancipation- dit de lui :
"Il n'a point passé une heure sans s'oublier. La justice est sa respiration; le sacrifice est son geste, le droit est son verbe. Chacune de ses réflexions fait penser à ce que nous nommons le ciel. Il est matérialiste, et il ne croit pas en Dieu. Comment !'homme peut-il tirer tant de vertu de lui-même ?"
Quel hommage! Oui, comment l'homme peut-il tirer tant de vertu de lui-même.
SCHOELCHER n'a puisé qu'en lui-même la force d'âme d'inspirer et de faire aboutir une oeuvre dont seul le temps paraissait pouvoir se charger.
Homme de raison, observateur averti, cherchant les causes et les conséquences des faits, il fut véritablement un représentant type de la Révolution de 1848.
S'étant instruit de l'esclavage, par tous les moyens, et même par de nombreux et périlleux voyages aux lieux où il sévissait, son esprit en fut absorbé; sa conception de l'homme ne pouvait cadrer avec cette création de l'homme; il s'attacha à la faire disparaître, persuadé qu'une seule formule convenait: l'abolition totale et immédiate, seule conforme à la dignité humaine.
Cet homme de raison agit à la fois comme un mage illuminé et un cartésien rigoriste.
Sa foi, c'est la foi en l'homme; Sa croyance, c'est la croyance aux valeurs humaines; Nullement soutenu par cette certitude que donne à d'autres la foi en une force supérieure à l'être humain, il sut, seul, avec ses moyens d'homme libre, démontrer que l'homme peut aller toujours au-delà des limites qu'il croyait extrêmes.
Folie, criaient certains. Comme un Chevalier de vérité, comme Perceval le "Chevalier Vermeil", il allait son chemin.
Il savait qu'il n'est pas de plus noble folie que celle qui, renouvelant le geste du sculpteur qui pétrit avec amour une argile informe jusqu'à lui donner forme et vie, veut buriner dans la lumière le visage de l'homme son semblable ; le relever du servile état où il croupit à genoux, et lui ouvrant les bras en un geste de fraternel amour, lui dire: "Toi aussi, mon frère, tu es un homme'
Utopie, ricanaient d'autres.
Mais pour Victor SCHOELCHER, le devoir est impératif comme le destin. Il sait que "le service de la vérité est le plus dur service".
Par sa ténacité, calme et indomptable, il est parvenu à illustrer par anticipation la parole de Jaurès: "C'est des utopies généreuses que sortent les réalités bienfaisantes".
Le message SCHOELCHER, la France se l'adressait à elle-même.
Selon son génie propre, ayant adopté un principe, elle le poussait jusqu'à ses conséquences extrêmes.
Et, si par le malheur des temps, l'oeuvre d'ensemble des hommes de 1848 fut compromise cette partie du moins reste présente et actuelle.
Mais il ne suffit pas de se le remémorer. Il faut puiser dans l'étude de la Révolution de 1848 la force de la parachever.
L'esclavage des Noirs n'était qu'une des formes de la servitude humaine. Des formes de servitudes ont disparu ; d'autres sont nées qui pèsent lourdement sur l'humanité.
Tant il est vrai que le progrès lui-même crée ses servitudes. Chacune des conquêtes de l'homme tend à s'imposer à lui, à l'asservir; et sans cesse, il doit ajouter à l'effort sur la matière, un effort sur lui-même pour se libérer encore.
Il arrive qu'il se lasse de ce combat ; qu'il se plaigne de son sort de Sisyphe. S'il s'arrête, il est perdu. Il importe que ceux qui sont éclairés se dévouent pour le soutenir, pour veiller à ce que sa flamme intérieure ne s'éteigne pas.
Pour cette oeuvre il faut de la conscience, de la dignité, de l'amour, vertus qui ne se conçoivent et ne s'épanouissent que dans la liberté.
Puisse ce message de 1848, inspirer nos pensées et nos actes; à la vérité, il a imprégné très largement la nouvelle Constitution française et notamment la partie consacrée à l'Union Française.
"La France, dit le préambule de la Constitution, forme avec les peuples d'Outre-Mer, une union fondée sur l'égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion".
"Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s'administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires".
L'originalité de ces principes commence dans les conséquences que la Constitution en tire elle-même. Pour la première fois se trouve fixé le processus qui va permettre à des parties de l'Union d'accéder à la personnalité politique. Par ailleurs, il n'est plus de distinction entre les races groupées au sein de cette communauté. Seul, l'homme demeure, avec ses vertus propres.
Sous le signe de la liberté, de la fraternité, commence à se fonder la véritable égalité, et chacun prend sa place et ses charges dans l'administration des affaires communes.
Le geste de 1946 s'inscrit dans le sillage de celui de 1848. La même audace, la même noblesse s'attache aux deux. Il appartient maintenant aux hommes de bonne volonté d'y rester fidèles dans la pratique. Qui, mieux que vous, fils de France, peut ressentir la résonance humaine de 1848.
Un peuple - un homme - le génie d'une nation ; voilà ce que concrétise l'acte immortel que nous magnifions ce soir. Quel plus haut exemple pourrait animer votre volonté. Ne pas achever la libération sociale commencée, rester inactifs, se serait vous renier vous-mêmes alors que la France, fille ainée de l'humanité libre par dessus cent années, vous tend le flambeau.
Nul ne peut, nul ne doit, aux heures sévères que nous vivons prétendre demeurer dans une expectative ou une contemplation différente. L'homme n'est réellement libre que lorsqu'il a contribué à agrandir le domaine de la liberté.
Contre la volonté, il n'est point de fatalité. Tout est possible à celui qui refuse la servitude.
C'est la leçon exaltante qui se dégage de l'exemple même d'un homme comme Victor SCHOELCHER. C'est celle dont nous, hommes de couleur, venant de tous les horizons d'Outre-Mer, voulons nous inspirer sans cesse, car elle nous montre qu'une volonté tenace, mise au service de la raison et d'un haut idéal, est susceptible de changer la face du monde.
Elle a été notre guide aux heures où le fanatisme bestial menaçait d'éteindre les lumières de l'esprit et où avec la France, risquait de sombrer la Liberté.
C'est elle qui brillait au front de ces hommes d'Outre-Mer qui, répondant au geste historique de leur congénère Félix EBOUE partirent pour la croisade de la libération, surgissant du Tchad à travers le Fezzan, parcourant victorieusement la Lybie, la Tripolitaine, la Tunisie, puis remontant la vallée du Rhône et, versant le meilleur de leur sang sur la terre d'Alsace et devant Colmar même, libéraient à leur tour le berceau de leur libérateur. Voilà la leçon et la justification de Victor SCHOELCHER. Ces fils d'affranchis se jetèrent dans la lutte, non pas comme des mercenaires sans âme, mais comme des hommes qui, depuis SCHOELCHER et grâce à SCHOELCHER, ont compris qu'il n'est pas au monde de bien supérieur à la Liberté.
C'est aussi pour marquer cette vérité que notre piété se propose d'unir bientôt en un même hommage deux hommes dont les noms symbolisent à la fois le geste libérateur de 1848 et ses conséquences humaines; dans quelques semaines, réalisant l'une des aspirations les plus anciennes, des hommes de couleur, synthétisant en un geste émouvant ces cent années d'histoire de la liberté, la Patrie reconnaissante unira, sous le Dôme du Panthéon, où elle garde le souvenir de ses grands serviteurs, le fils de cette Alsace dont les hommes de 1793 disaient déjà que là commence le pays de la liberté, et un fils de ces affranchis dont la foi et la volonté ont puissamment aidé à sauver le pays de la liberté.
Victor SCHOELCHER et Félix EBOUE seront réunis, le même jour, en un même cortège, dans le même sanctuaire de la montagne Sainte Geneviève.
Alors, à ceux qui douteraient encore, à ceux qui s'attarderaient à s'interroger sur l'opportunité du grand geste que fut l'émancipation des esclaves et leur appel à la citoyenneté, à ceux qui, pendant longtemps, ont souri de la «naïveté» des révolutionnaires de 1848 et de leurs utopies, nous qui avons médité tant sur l'acte que sur les mobiles du grand abolitionniste, nous qui avons perçu la résonance profonde qu'il a eue dans l'esprit de tous les citoyens du monde, nous crierons de toute notre foi, du plus profond de notre être reconnaissant:
"Oui, Victor SCHOELCHER avait raison".